Trente-deux

L’héritage.

Une foule d’idées avait fleuri dans son esprit pendant la nuit : hôpitaux, cliniques, magnifiques laboratoires peuplés de brillants chercheurs… Tout ça, tu peux le faire.

Personne ne comprendrait, à part Michael et Aaron. Les autres ne comprendraient pas parce qu’ils ignoraient les secrets révélés par le dossier. Ils ne savaient pas pour les bocaux.

Ils savaient certaines choses mais n’avaient jamais entendu parler de Suzanne Mayfair, sage-femme et guérisseuse d’un village crasseux d’Ecosse, ni de Jan Van Abel, assis à son bureau de Leiden et traçant à l’encre les muscles et les veines d’un torse écorché. Comment auraient-ils su pour Marguerite et le cadavre sur le lit parlant avec la voix d’un esprit pendant que Julien observait ? Julien qui avait mis les bocaux dans le grenier au lieu de les détruire près d’un siècle plus tôt.

Aaron savait. Michael savait. Ils comprendraient son rêve d’hôpitaux, de cliniques et de laboratoires, de guérir des milliers de corps souffrants.

Quel sale tour je vais te jouer, Lasher !

Si seulement elle pouvait oublier Carlotta. Le véritable fantôme de la maison, c’était elle et non ceux que Michael avait vus. En repensant à ce que Michael avait enduré, son sang se glaça dans ses veines. Si seulement elle savait comment s’y prendre, elle repousserait tous les démons du monde pour lui.

La vieille femme. A voir la posture de son corps inerte dans le fauteuil, on aurait dit qu’elle allait rester là pour toujours. Et l’odeur qu’elle dégageait était pire que celle des bocaux : celle de la culpabilité. Rowan avait commis le crime parfait. Cette odeur dépravait tout : la maison, l’histoire, le rêve d’hôpitaux.

Nous voulons entrer, vieille femme. Je veux ma maison et ma famille. Les bocaux ont été détruits et leur contenu est ailleurs maintenant. Je connais l’histoire. J’expierai pour tout cela. Laissez-moi entrer et je remporterai la victoire.

Elle s’en voulait d’avoir pressé Michael d’enlever ses gants. Plus jamais elle ne le ferait. Michael ne supportait pas son pouvoir ni le souvenir des visions. Il en souffrait trop.

C’était la noyade qui avait provoqué leur rencontre, pas les forces mystérieuses tapies dans la maison. Pas les voix sortant des têtes décomposées, des fantômes en taffetas. La force de Michael et la sienne étaient à l’origine de leur amour et leur avenir était la maison, la famille et l’héritage qui allait permettre à la médecine d’accomplir des millions de miracles.

Qu’étaient tous les fantômes et toutes les légendes de la terre comparés à ces réalités ? Dans son sommeil, elle voyait monter les bâtiments. Elle voyait l’immensité. Je ne voulais pas tuer la vieille femme, c’était mal…

A 6 heures, le journal arriva en même temps que le petit déjeuner :

Un squelette trouvé dans une maison réputée de garden district.

C’était inévitable. Ryan l’avait prévenue qu’on ne pourrait étouffer l’affaire. Transie, elle lut l’article, amusée par le style désuet du journaliste.

Comment nier que la demeure Mayfair avait toujours été associée à la tragédie ? Ou que la personne qui aurait pu jeter la lumière sur la mort de ce Texan, Stuart Townsend, était Carlotta Mayfair, qui était morte la nuit même où les restes du corps avaient été découverts ?

L’article rendait ensuite hommage à Carlotta. Rowan se sentit rongée par le remords.

A tous les coups, un membre du Talamasca était en train de découper l’article. Aaron était peut-être aussi en train de le lire à l’étage au-dessus. Qu’allait-il écrire à ce sujet dans le dossier ? Penser au dossier la réconforta.

En fait, elle était bien plus à l’aise que n’importe quel être humain normalement constitué l’aurait été à sa place. Car, quoi qu’il arrivât, elle était une Mayfair parmi les Mayfair et ses chagrins secrets étaient entremêlés d’autres, plus anciens et plus complexes. De plus, bien que coupable du meurtre de la vieille femme, elle n’était pas seule.

Après avoir lu l’article, elle resta un long moment sans bouger, les mains crispées sur le journal, indifférente à la pluie qui faisait rage dehors et à son petit déjeuner qui refroidissait.

Quels que soient ses sentiments, il fallait souffrir en silence pour la vieille femme, laisser le remords se coaguler dans son esprit. De toute façon, elle était morte. On n’y pourrait rien changer.

En fait, les événements s’étaient succédé à une telle rapidité qu’elle n’était plus maîtresse de ses réactions. Elle ne faisait plus que passer d’une émotion à l’autre. La veille, tandis que Michael était allongé sur le lit, son pouls très rapide et son visage rouge, elle avait paniqué. Elle s’était dit : « Si je perds cet homme, je mourrai avec lui. J’en fais le serment. » Une heure plus tard, elle brisait les bocaux l’un après l’autre, rassemblant leur contenu dans un plat blanc et les examinant à l’aide d’une pince à glaçons avant de les remettre à Aaron. Le médecin en elle avait repris le dessus.

Entre ces moments de crise, elle se laissait dériver, observait, se rappelait.

Ce matin, à 4 heures, elle s’était réveillée en se demandant où elle était. Puis tout lui était revenu. Un flot mêlé de malédictions et de bénédictions, son rêve d’hôpital, Michael à côté d’elle et le désir intense qu’elle avait de lui.

Assise dans le lit, les bras passés autour de ses genoux repliés, elle s’était demandé si le sens érotique de la femme n’était pas plus aiguisé que celui de l’homme. Les cheveux écrasés sur le front de Michael et leur façon de boucler sur sa nuque l’excitaient horriblement.

Les hommes n’étaient-ils pas un peu plus directs ? Étaient-ils vraiment capables de devenir fous en voyant une cheville ? Dostoïevski l’avait dit, mais elle en doutait. Pour l’instant, elle était à l’agonie : la toison sur le poignet de Michael, sa montre en or sur ce fond sombre…

Elle imagina ses manches relevées sur son bras, idée qui, pour quelque raison, l’excitait bien plus qu’un bras complètement nu, et sa main allumant une cigarette. Tout cela était terriblement érotique. Et même sa voix lente et tonitruante, pleine de tendresse, lorsqu’il parlait au téléphone avec tante Viv.

A genoux dans cette pièce atroce, la veille, il avait lutté et s’était débattu. Allongé sur le lit poussiéreux, plus tard, elle l’avait trouvé irrésistible dans son épuisement, ses mains larges et puissantes reposant sur le dessus-de-lit. Elle avait défait sa ceinture et son pantalon. L’idée que cette force de la nature était entièrement à sa merci avait été délicieusement érotique. Mais lorsqu’elle avait senti son pouls, la terreur s’était emparée d’elle.

Elle était restée longtemps assise à côté de lui, jusqu’à ce que son pouls soit redevenu normal, que sa peau ait refroidi et que sa respiration soit régulière. Comme son corps était parfait, avec ses poils sombres sur la poitrine, et ses bras, et ses mains tellement plus grandes que les siennes !

Sa peur avait refroidi sa passion. Mais ses peurs ne duraient jamais longtemps.

Ce matin, elle avait eu envie de le réveiller en prenant son sexe dans sa bouche. Mais il avait besoin de dormir après tant d’épreuves. Elle pria pour que son sommeil soit peuplé de beaux songes. Et puis, elle l’épouserait dès qu’elle pourrait décemment le lui demander. Et ils auraient le reste de leur vie, ensemble dans la maison de First Street, pour penser à la bagatelle.

Deux heures plus tard, tandis qu’il pleuvait des trombes dehors et que son petit déjeuner refroidissait, elle rêvassait, retournant dans sa tête le passé et l’avenir, songeant à l’inévitable rencontre qui allait se produire.

La sonnerie du téléphone la fit sursauter. Ryan et Pierce l’attendaient en bas pour l’emmener en ville.

Elle rédigea rapidement un message à l’intention de Michael, lui indiquant qu’elle se rendait au cabinet Mayfair et reviendrait pour le dîner, à 6 heures au plus tard. « Garde Aaron auprès de toi et ne va pas seul dans la maison. »

— Je veux t’épouser, dit-elle à voix haute en posant le message sur la table de nuit. (Michael ronflait doucement sur l’oreiller.) L’archange et la sorcière, dit-elle encore plus fort.

Mais il dormait profondément. Elle risqua un baiser sur son épaule nue, caressa doucement le muscle de son bras, au point qu’elle faillit se remettre au lit…

Elle referma la porte derrière elle.

Les petits immeubles en brique de Carondelet Street défilaient sous ses yeux. Le ciel ressemblait à de la pierre polie derrière la pluie torrentielle. Les éclairs fendaient cette pierre d’une veine lumineuse et le tonnerre éclatait pour aller mourir un peu plus loin.

Ils arrivèrent enfin dans un quartier de gratte-ciel et passèrent deux pâtés de maisons prolongés par un garage souterrain.

Les spacieux bureaux de Mayfair & Mayfair, situés au trentième étage d’un immeuble, n’avaient rien d’étonnant avec leurs meubles traditionnels et leur moquette épaisse. Deux des juristes Mayfair qui l’attendaient étaient des femmes et un autre était un vieillard. Des baies vitrées, on avait vue sur le fleuve, gris comme le ciel, peuplé de remorqueurs et de péniches.

Café. Conversation quelconque avec Ryan, l’homme aux cheveux blancs et aux yeux bleus aussi opaques que du marbre, parlant de façon interminable d’« investissements considérables », d’« effets à long terme », de « domaines possédés depuis plus d’un siècle » et d’investissements de base « plus importants que vous n’oseriez l’imaginer ».

Elle attendait. Ils devaient lui en dire plus.

Enfin, ils se décidèrent à énumérer des noms et des détails qu’elle analysa consciencieusement. Elle commença à voir des hôpitaux et des cliniques se découper sur un ciel nuageux. Sans bouger, sans afficher une seule émotion, elle laissa Ryan parler.

Des pâtés de maisons entiers à Manhattan et Los Angeles ? La majorité des capitaux de la chaîne hôtelière Markham Marris Resorts ? Des galeries commerciales à Beverly Hills, Coconut Grove, Boca Raton et Palm Beach ? Des immeubles en copropriété à Miami et Honolulu ? Et encore ces « très gros » investissements en bons du Trésor, en francs suisses et en or.

Son esprit dérivait, mais jamais très loin. Ainsi, Aaron avait vu juste dans le dossier.

Elle but son café en silence. Ses yeux allaient d’un Mayfair à l’autre, tous silencieux tandis que Ryan poursuivait sa litanie. Emprunts de collectivités locales, concessions pétrolières, quelques capitaux prudents dans l’industrie des loisirs et, dernièrement, dans l’informatique. De temps à autre, elle hochait la tête et prenait quelques notes avec son stylo en argent.

Oui, bien sûr, elle comprenait que le cabinet s’était occupé de tout pendant plus d’un siècle. Julien l’avait fondé dans ce but. Et, bien sûr, elle se rendait bien compte que la gestion de l’héritage était étroitement liée avec les affaires financières de l’ensemble de la famille, « toujours pour le plus grand bien de l’héritage, bien entendu. Car c’est lui qui prime. Et il n’y a jamais eu conflit d’intérêts car…

— Je comprends.

— Nous avons toujours eu une approche prudente mais, pour apprécier parfaitement ce que je dis, il faut comprendre ce que cela sous-entend concernant une fortune aussi immense. Il ne serait pas exagéré de la comparer au budget d’un pays producteur de pétrole. Et notre politique a toujours été de conserver et de protéger plutôt que d’étendre ou développer. Car lorsqu’un tel capital est correctement préservé de l’inflation, de l’érosion monétaire ou de toute ingérence extérieure, l’expansion se fait d’elle-même. Elle est virtuellement illimitée et le développement dans toutes les directions est inévitable…

— S’agirait-il de milliards ?

Une onde silencieuse traversa la pièce. Une gaffe de Yankee ? Elle ne perçut aucun signe de malhonnêteté mais de confusion, de crainte.

Toujours aucune réponse.

— Des milliards, répéta-t-elle. Pour le foncier uniquement.

— Eh bien, oui. C’est exact. Des milliards rien que pour le foncier.

Comme ils paraissaient tous embarrassés et mal à l’aise ! On aurait dit qu’un secret défense venait d’être divulgué.

Elle sentit soudain la peur de ces gens, la révulsion de Lauren Mayfair, la plus âgée des deux femmes. C’était une blonde de soixante-dix ans environ, au menton ridé et poudré, qui la dévisageait de l’autre extrémité de la table, s’imaginant déjà que l’héritière n’aurait aucune reconnaissance pour ce que le cabinet avait fait pour elle. A sa droite, il y avait Anne-Marie Mayfair, une femme de quarante ans environ, brune, jolie, maquillée et vêtue avec goût. Scrutant Rowan de derrière ses lunettes d’écaille, elle aussi semblait convaincue qu’un quelconque désastre allait se produire.

Et Randall Mayfair, le petit-fils de Garland, cet homme mince à la crinière grise et duveteuse, les yeux endormis sous ses épais sourcils et ses paupières légèrement mauves. Il n’avait pas l’air d’avoir peur mais semblait résigné de nature.

Lorsque leurs regards se croisèrent, Randall lui répondit en silence : « Bien entendu, vous ne comprenez pas. Comment le pourriez-vous ? Combien de personnes pourraient comprendre ? Ainsi, vous allez vouloir tout prendre en main. Mais c’est bien stupide de votre part. »

— Vous me sous-estimez, dit Rowan d’une voix monotone, ses yeux balayant le groupe. Moi je ne vous sous-estime pas. Je veux juste savoir de quoi il retourne. Je ne peux pas rester passive. Ce serait faire preuve d’irresponsabilité.

Un grand silence tomba. Pierce souleva sa tasse de café et but sans un bruit.

— Ce que nous voulons dire, dit Ryan calmement et courtoisement, pour être très pragmatique, c’est qu’on peut vivre dans un luxe royal avec seulement une fraction des intérêts que rapporte le réinvestissement d’une fraction des intérêts que rapporte… et cætera, sans toucher au capital. Est-ce que vous me suivez ?

— Je vous le redis : je ne peux pas rester passive et ignorante.

Silence. Encore une fois, ce fut Ryan qui le rompit. Conciliant et fort bien élevé.

— Que voulez-vous savoir précisément ?

— Tout dans les moindres détails. Ou plutôt devrais-je dire l’anatomie. Je veux voir le corps tout entier pour en étudier l’organisme.

Randall et Ryan échangèrent un bref regard.

— C’est tout à fait raisonnable mais moins simple que vous ne l’imaginez, répondit Ryan.

— Alors, une chose en particulier. Quelle proportion de cet argent va à la médecine ? Y a-t-il des institutions médicales dans tout ça ?

On aurait dit qu’elle venait de proclamer une déclaration de guerre. Elle sentit chez Anne-Marie, Lauren et Randall la même hostilité qu’elle avait ressentie depuis son arrivée dans cette ville. Lauren, un doigt posé sous sa lèvre inférieure, était trop polie pour le montrer et ne faisait que fixer Rowan des yeux. Elle regarda enfin Ryan qui reprit la parole.

— Nos actions philanthropiques ne concernent pas la médecine à proprement parler. La Fondation Mayfair s’occupe d’art et d’enseignement, de télévision pédagogique en particulier, et attribue des bourses à plusieurs universités. Et puis, bien entendu, nous faisons de très importantes donations à des organisations caritatives.

— Je connais, dit-elle doucement. Mais nous parlons de milliards. Les hôpitaux, les cliniques et les laboratoires sont des établissements qui réalisent d’importants bénéfices. Je ne parlais pas d’actions philanthropiques, en fait. Je pensais à un domaine qui peut avoir un très grand impact bénéfique sur des vies humaines.

Comme cet instant était exaltant ! Très intime aussi. C’était comme la première fois qu’elle s’était approchée d’une table d’opération et qu’elle avait tenu des instruments dans ses mains.

— Nous ne nous sommes jamais orientés vers la médecine, dit Ryan. C’est un domaine qui nécessiterait une étude gigantesque et une totale restructuration… Vous savez, Rowan, tout ce réseau d’investissements s’est construit au fil de plus d’un siècle. Ce n’est pas une fortune qui serait perdue en cas d’effondrement du marché de l’argent ou si l’Arabie Saoudite inondait la planète de pétrole gratuit. Il s’agit d’une diversification quasiment unique dans les annales de la finance et d’opérations menées avec précaution qui ont résisté à deux guerres mondiales et à d’innombrables crises un peu moins graves.

— Je comprends, dit-elle. Mais il me faut des informations. Je veux tout savoir. Je pourrais commencer par la dernière déclaration fiscale. Ce qu’il me faut, c’est apprendre, m’initier. Nous pourrions organiser des réunions au cours desquelles nous discuterions des différents secteurs d’activité impliqués. Il me faut surtout des statistiques. Elles représentent la réalité, finalement…

Nouveau silence, confusion, échange de regards. La pièce était devenue trop petite et encombrée.

— Vous voulez un conseil ? demanda Randall d’une voix plus grave et rauque que celle de Ryan mais tout aussi patiente. C’est pour cela que vous nous payez, après tout.

Rowan ouvrit les mains.

— Je vous en prie.

— Reprenez votre travail de neurochirurgien. Vous avez des revenus suffisants pour vous offrir tout ce que vous voulez, mais n’essayez pas de comprendre d’où vient cet argent. A moins que vous n’ayez envie de renoncer à votre métier et de devenir comme nous : des gens qui passent leur temps en réunions, en discussions avec des conseillers financiers, des courtiers, des juristes et des comptables avec leurs calculatrices. C’est pour ce travail que vous nous payez.

Rowan étudia son interlocuteur, avec ses cheveux gris mal peignés, ses yeux lourds, ses grandes mains appuyées sur la table. Sympathique. Très sympathique. Et pas un menteur. Aucun d’eux, d’ailleurs. Ni menteurs, ni voleurs, du reste. Une gestion intelligente de telles sommes nécessite beaucoup de talent et leur procure des revenus supérieurs à ce dont des voleurs pourraient rêver.

Mais ce sont tous des juristes, même le charmant jeune Pierce avec ses yeux de porcelaine. Et les hommes de loi ont une conception de la vérité extrêmement fluctuante et en contradiction avec celle des autres.

Elle tourna son regard vers le fleuve. Pendant un moment, l’exaltation l’avait aveuglée. Elle aurait voulu que la chaleur se retire de son visage. L’important était qu’elle comprenne de quoi il retournait, qu’ils ne lui cachent rien et qu’ils ne se sentent pas blessés ou diminués parce qu’elle voulait savoir.

— Cela représente combien ? demanda-t-elle, les yeux fixés sur le fleuve, sur une longue péniche tirée à contre-courant par un remorqueur usé à la proue recourbée.

Silence.

— Vous vous représentez mal la situation, dit Randall. Tout tient d’une seule pièce, comme une grande toile…

— J’imagine. Mais j’ai besoin de savoir et vous ne pouvez m’en blâmer. En d’autres termes, je pèse combien ?

Pas de réponse.

— Faites une approximation.

— C’est difficile. Ce ne serait pas réaliste de…

— Sept milliards et demi ?

Silence prolongé. État de choc. Elle avait dû toucher très près. Le chiffre déclaré à l’administration fiscale, peut-être, qu’elle avait capté dans un de ces esprits si fermés.

Ce fut Lauren qui répondit. Son expression avait très légèrement changé. Elle se redressa en tenant son crayon entre ses deux mains.

— Vous avez droit à cette information, dit-elle d’une voix féminine délicate qui convenait très bien à ses cheveux blonds et ses boucles d’oreilles en perle. Légalement, vous avez le droit de savoir ce qui vous appartient. Nous allons coopérer totalement car, éthiquement, nous y sommes tenus. Mais je dois dire, à titre personnel, que je trouve votre attitude très intéressante. Je serai heureuse de parler avec vous de chaque aspect de l’héritage, jusqu’au moindre détail. Ma seule crainte est que vous ne vous lassiez de ce petit jeu avant d’avoir toutes les cartes en main. Mais je suis déterminée à m’y mettre.

Se rendait-elle compte à quel point elle était condescendante ? Probablement pas. Après tout, l’héritage avait été entre les mains de ces gens pendant plus de cinquante ans. Ils méritaient qu’on soit patient avec eux.

— Il n’y a pas d’autre façon possible, dit Rowan. Je ne trouve pas intéressant de vouloir savoir mais impératif de savoir.

La femme préféra se taire. Ses traits délicats restèrent immobiles, ses petits yeux pâles s’écarquillèrent légèrement et ses fines mains tremblaient un peu. Les autres la regardaient.

Rowan comprit soudain que c’était elle le cerveau de la société et non Ryan, contrairement à ce qu’elle avait cru. En silence, elle reconnut son erreur, se demandant si la femme pouvait percevoir ses pensées.

— Puis-je vous poser une question ? demanda Lauren en la regardant droit dans les yeux. C’est une question purement professionnelle.

— Bien entendu.

— Supporterez-vous d’être riche ? Immensément riche ?

Rowan eut envie de sourire. C’était une question amusante mais, une fois encore, condescendante et insultante. Plusieurs réponses lui vinrent à l’esprit mais elle opta pour la plus simple.

— Oui. Et je veux construire des hôpitaux.

Silence.

Lauren hocha la tête, croisa les bras sur la table et regarda toute l’assistance.

— Je n’y vois aucun inconvénient, dit-elle calmement. C’est une idée intéressante. Et, de toute façon, nous sommes là pour faire ce que vous voulez.

Oui, c’était elle le cerveau de l’affaire. Elle avait laissé Ryan et Randall parler mais c’était elle qui serait le professeur et, éventuellement, l’obstacle.

— Je crois que nous pourrions passer maintenant aux problèmes immédiats, dit Rowan. Il vous faudra probablement un inventaire de ce qui est dans la maison. Quelqu’un en a parlé, il me semble. Et puis, il y a les affaires de Carlotta. Quelqu’un voudra-t-il les faire enlever ?

— Oui. Et pour la maison, dit Ryan, vous avez pris une décision ?

— Je veux la restaurer et y habiter. J’ai l’intention de me marier avec Michael Curry. Avant la fin de l’année, probablement. Nous y vivrons.

On aurait dit qu’une grande lumière s’était allumée dans la pièce. Chacune des personnes présentes semblait baignée de lumière.

— Formidable ! s’exclama Ryan.

— Quelle bonne nouvelle ! dit Anne-Marie.

— Vous n’imaginez pas ce que représente cette maison pour nous, dit Pierce.

— Si vous saviez à quel point tout le monde sera heureux de l’apprendre, dit Lauren.

Seul Randall restait calme. Il dit presque tristement :

— Oui, c’est merveilleux.

— Mais il faudrait que quelqu’un vienne chercher les effets de la vieille femme, reprit Rowan. Je ne veux pas entrer dans la maison tant que ce ne sera pas fait.

— Parfaitement, dit Ryan. Nous commencerons l’inventaire demain. Et Gerald Mayfair va venir tout de suite prendre les affaires de Carlotta.

— Il faudrait aussi des gens pour faire le ménage et nettoyer du sol au plafond une chambre du troisième étage. Nous débuterons les travaux de restauration dès qu’ils auront fait partir l’odeur et enlevé les matelas. Tous les matelas, je crois…

— Je m’en occupe, Rowan, dit Pierce. (Il était déjà debout.) Vous voulez des matelas neufs ? Ce sont des lits doubles, n’est-ce pas ? Alors, il faut quatre matelas. Je les ferai livrer dans l’après-midi.

— Magnifique ! dit Rowan. La chambre sous les toits est impeccable et il suffit de démonter le lit de Julien pour le faire restaurer.

— Entendu. Que puis-je faire d’autre ?

— C’est déjà formidable. Michael fera le reste. Il va s’occuper lui-même de la restauration de la maison.

— Oui, il fait ça très bien, je crois, dit Lauren.

Soudain, elle se rendit compte qu’elle avait commis un impair. Elle baissa les yeux puis regarda Rowan en essayant de cacher son embarras.

Il était clair qu’ils avaient mené leur petite enquête sur Michael. Savaient-ils pour ses mains ?

— Nous aimerions vous garder encore un peu, Rowan. Il y a quelques papiers à signer concernant la propriété…

— Bien sûr. Au travail ! Je ne demande pas mieux.

— Parfait. Et ensuite, nous vous emmènerons déjeuner. Chez Galatoire, ça vous convient ?

— Ça me va très bien.

C’était parti.

Elle arriva à la maison à 3 heures. Il faisait terriblement chaud et le ciel était couvert. La chaleur semblait s’être amassée et stagnait sous les chênes. En sortant du taxi, elle aperçut de minuscules insectes essaimant dans les zones d’ombre. Mais la maison la captiva instantanément. Enfin seule ici. Les bocaux n’étaient plus là, Dieu merci, ni les poupées, ni ce qui appartenait à Carlotta.

Elle avait les clés à la main. On lui avait montré les documents concernant la maison. Elle avait été intégrée à l’héritage en 1888 par Katherine. Elle était bien à elle. Ainsi que tous les milliards dont personne ne voulait parler.

Gerald Mayfair, jeune homme de belle prestance au visage affable, sortit sur le perron. Il expliqua qu’il allait partir et qu’il avait mis le dernier carton de Carlotta dans le coffre de sa voiture.

L’équipe du ménage était partie depuis une demi-heure.

Il regarda Rowan avec une certaine nervosité quand elle lui tendit la main. Il ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans et ne ressemblait pas aux membres de la famille de Ryan. Ses traits étaient plus fins et il n’avait pas l’assurance des autres. Mais il avait l’air gentil. Il avait l’air d’un brave garçon, selon l’expression consacrée.

Rowan le remercia d’avoir fait aussi vite et l’assura qu’elle serait à la messe de requiem pour Carlotta.

— Savez-vous si elle a été… enterrée ? demanda-t-elle, hésitant sur le mot à employer pour parler de quelqu’un qu’on mettait dans un tiroir en pierre.

Elle avait été enterrée le matin. Il y était allé avec sa mère et à leur retour ils avaient trouvé le message leur demandant d’aller chercher les affaires de Carlotta.

Rowan lui dit qu’elle avait apprécié sa rapidité et qu’elle avait envie de connaître tous les membres de la famille. Il hocha la tête.

— C’était gentil de la part de vos deux amis d’être venus, dit-il.

— Mes amis ? Venir où ?

— Ce matin, au cimetière. M. Lightner et M. Curry.

— Ah oui ! bien sûr. Je… j’aurais dû y aller aussi.

— Cela n’a pas d’importance. Elle ne voulait pas de cérémonie et, sincèrement…

Il resta un moment silencieux en regardant la maison, comme s’il voulait dire quelque chose.

— Vous allez vivre ici ?

— Nous allons la remettre dans l’état où elle était du temps de ses splendeurs. Mon mari… enfin, l’homme que je vais épouser, est un expert en matière de vieilles maisons. Il dit qu’elle est tout à fait solide et il a hâte de s’y mettre.

Gerald hésitait encore.

— Vous savez qu’elle a vécu un certain nombre de tragédies. C’est ce que tante Carlotta disait toujours.

— Et le journal de ce matin aussi, dit-elle en souriant. Mais elle a aussi vécu des moments de grand bonheur. Il y a longtemps. Pendant des dizaines d’années. Je veux qu’elle retrouve ce bonheur.

Elle attendit patiemment puis demanda :

— Qu’est-ce que vous vouliez me dire, en fait ?

Les yeux de Gerald parcoururent son visage. Il souleva légèrement les épaules, soupira et regarda à nouveau la maison.

— Je crois qu’il faut que je vous dise que Carlotta… voulait que je brûle la maison après sa mort.

— Vous êtes sérieux ?

— Je n’ai jamais eu l’intention de le faire. Je l’ai dit à Ryan et Lauren. A mes parents aussi. Mais il fallait que je vous le dise à vous. Elle était inflexible. Elle m’a même dit comment procéder. Je devais mettre le feu dans le grenier avec une lampe à huile qui se trouvait là-haut, puis aux rideaux du premier étage et finir par le rez-de-chaussée. Elle m’a fait promettre. Elle m’a donné une clé. (Il la tendit à Rowan.) Vous n’en avez pas vraiment besoin, précisa-t-il. La porte d’entrée n’a jamais été fermée pendant cinquante ans. Mais elle avait peur que quelqu’un la ferme. Elle savait qu’elle ne mourrait pas avant Deirdre.

— Quand vous a-t-elle dit ça ?

— Très souvent. La dernière fois, c’était il y a une semaine. Juste avant la mort de Deirdre, quand ils ont su qu’elle était mourante. Elle m’a appelé, tard dans la soirée, pour me rappeler ma promesse. « Brûle tout », a-t-elle dit.

Il hocha la tête et regarda de nouveau vers la maison.

— Je voulais juste vous le dire, reprit-il. Je pensais que vous deviez savoir.

— Et que pouvez-vous me dire d’autre ?

— Quoi d’autre ? (Il haussa les épaules.) Soyez prudente. Très prudente. Cette maison est vieille et sinistre et… elle n’est peut-être pas ce qu’elle a l’air d’être.

— C’est-à-dire ?

— Ce serait plutôt une sorte de piège. (Il secoua la tête.) Je ne sais plus ce que je dis. C’est une image qui me vient à l’esprit. Vous savez que… que nous avons tous une sorte de don pour sentir certaines choses…

— Je sais.

— Eh bien, je crois seulement que je voulais vous prévenir. Vous ne savez rien de nous.

— Carlotta vous a-t-elle parlé de ce piège ?

— Non, c’est une vue qui m’est toute personnelle. Je suis venu ici plus souvent que les autres. J’étais le seul que Carlotta voulait voir ces dernières années. Elle m’aimait bien. Je me demande pourquoi. Parfois, je venais par simple curiosité. Mais j’étais loyal envers elle. Cette maison était comme un gros nuage obscurcissant ma vie.

— Vous êtes content que ce soit fini.

— Oui. C’est terrible à dire mais elle ne voulait pas vivre aussi longtemps. Elle m’en a parlé. Elle était fatiguée et voulait mourir. C’est un après-midi où j’étais seul ici, à l’attendre, que j’ai pensé à l’histoire du piège. Je ne sais pas ce que cela signifie. Simplement, si vous sentez quelque chose, ne le négligez pas…

— Avez-vous déjà vu quelque chose ici ?

Il réfléchit un instant, comprenant très bien ce qu’elle voulait dire.

— Une fois, peut-être. Dans le hall d’entrée. Mais il se peut que je me le sois imaginé.

Ils restèrent silencieux. L’entretien était terminé et il voulait partir.

— J’ai été très heureux de parler avec vous, Rowan, dit-il avec une ébauche de sourire. Appelez-moi si vous avez besoin de moi.

Elle le raccompagna à la grille et jeta un regard discret sur la Mercedes gris métallisé qui s’en allait.

Vide. Calme.

Une odeur d’huile de pin planait. Elle monta l’escalier et passa rapidement de chambre en chambre. Des matelas neufs, encore emballés dans du plastique, sur tous les lits. Les draps et les couvrent étaient bien plies et rangés dans un coin. Les planchers avaient été nettoyés.

Une odeur de désinfectant au troisième étage.

Elle monta tout en haut. La brise entrait par la fenêtre du palier ouverte. La pièce aux bocaux était impeccable, à part une tache très sombre qui ne partirait probablement jamais. Il n’y avait plus un morceau de verre.

La chambre de Julien avait été nettoyée. Les boîtes avaient été empilées, le lit en cuivre démonté et posé contre le mur sous les fenêtres, qui étaient propres elles aussi. Les livres avaient été rangés sur les étagères. La substance gluante qui se trouvait à l’endroit où Townsend était mort avait été grattée.

Elle descendit dans la cuisine. Là encore, une bonne odeur d’huile de pin et de bois embaumait l’air.

Un vieux téléphone noir était posé sur le comptoir en bois de l’office. Elle composa le numéro de l’hôtel.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle à Michael.

— Je suis sur mon lit et je me sens bien seul. Je suis allé au cimetière avec Aaron ce matin. Je suis épuisé. J’ai mal partout, comme si je m’étais battu. Où es-tu ? Tu n’es pas là-bas ?

— Si. Il fait chaud et c’est complètement vide. Les affaires de la vieille femme sont parties, les matelas aussi et la chambre du grenier est impeccable.

— Tu es seule là-bas ?

— Oui. C’est magnifique. Le soleil s’est levé.

— J’arrive.

— Non, je retourne à l’hôtel à pied. Je veux que tu te reposes et que tu te fasses faire un check-up.

— Tu plaisantes ?

— On t’a déjà fait un électrocardiogramme ?

— Si tu continues à me torturer, je vais faire une crise cardiaque. J’ai fait un électrocardiogramme après ma noyade et mon cœur est parfait. Ce dont j’ai besoin, c’est d’une cure massive d’exercices érotiques sur une durée indéterminée.

— Ça dépendra de ton pouls quand j’arriverai.

— Allez, Rowan ! Je n’ai pas besoin d’un check-up. Si tu n’es pas là dans dix minutes, je débarque.

— C’est plus de temps qu’il ne m’en faut.

Elle marcha lentement à travers la salle à manger et passa dans le hall d’entrée. La lumière du soleil faisait briller les lattes du parquet.

Un grand sentiment de bien-être l’envahit. Elle resta immobile quelques secondes pour écouter, sentir, essayer de prendre possession de cet instant, de se rappeler l’angoisse de la veille et de l’avant-veille pour la comparer à la paix de l’instant présent. Une fois encore, l’horreur de la tragédie la réconforta car elle y avait sa place. Et elle avait la ferme intention de se racheter.

Elle se dirigea vers la porte d’entrée et aperçut un grand vase de roses sur la table. Était-ce une attention de Gerald ? Il avait peut-être oublié de la prévenir.

Elle s’arrêta pour contempler les magnifiques fleurs somnolentes, rouge sang, qui ressemblaient plutôt à une composition florale pour un enterrement, songea-t-elle. Comme si on les avait prises dans un cimetière.

Son sang se glaça quand elle pensa à Lasher. Ne jetait-il pas des fleurs aux pieds de Deirdre ? L’émotion fut si violente qu’elle entendait les battements de son cœur. Mais quelle idée absurde ! C’était sûrement Gerald, ou Pierce quand il était venu s’occuper des matelas. Après tout, c’était un vase ordinaire, à moitié rempli d’eau claire ! Et ces fleurs venaient de chez un fleuriste !

Tandis que son pouls redevenait régulier, elle se rendit compte que le bouquet avait quelque chose d’étrange. Elle n’y connaissait pas grand-chose en roses mais, d’habitude, elles étaient plus petites. Comme celles-ci étaient grosses et rouge foncé ! Et les tiges, et les feuilles. Habituellement, les feuilles de rose étaient en forme d’amande. Pas celles-ci. Elles présentaient aussi une multitude de petits points. C’était vraiment curieux.

Elle avança vers la porte en essayant de retrouver son impression de bien-être. Cette maison ressemblait plutôt à un temple. Elle se retourna pour regarder vers l’escalier. C’était là-haut qu’Arthur avait aperçu Stuart Townsend.

Personne. Dans le hall non plus. Pas plus que sous le porche où la vigne vierge grimpait partout.

— Tu as peur de moi ? dit-elle à voix haute. (Cela lui fit drôle de prononcer ces mots.) Tu croyais me faire peur et tu es en colère parce que je ne te crains pas ? C’est ça ?

Souriant légèrement, elle retourna vers les roses, en prit une et la porta à ses lèvres pour sentir ses pétales soyeux. Elle était vraiment énorme. Il y avait un nombre incroyable de pétales, qui avaient l’air complètement désordonnés. Ils commençaient déjà à se faner. Elle savoura leur doux parfum pendant une seconde puis sortit dans le jardin et jeta la fleur par terre avant de franchir la grille.

 

Le lien maléfique
titlepage.xhtml
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_048.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_049.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_050.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_051.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_052.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_053.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_054.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_055.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_056.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_057.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_058.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_059.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_060.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_061.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_062.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_063.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_064.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_065.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_066.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_067.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_068.html
Rice,Anne-[Sorcieres Mayfair-1]Le lien malefique(The witching Hour)(1990).French.ebook.AlexandriZ_split_069.html